Depuis plus de 30 ans, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) évalue l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes, ses impacts. Les rapports du GIEC ont ainsi pour objectif de présenter un état des lieux des connaissances les plus avancées sur le dérèglement climatique et ses conséquences afin d’alerter les gouvernements et la société civile et alimenter les négociations internationales sur le climat.
Le sixième rapport de synthèse du GIEC a été publié le 20 mars dernier. Bien qu’attendues, ses conclusions restent alarmantes et pressent les efforts internationaux en matière d’adaptation aux effets irréversibles du changement climatique, et d’atténuation pour réussir à maintenir la hausse des températures sous la barre des +1,5°C, voire +2°C d’ici 2100.
Le sixième rapport de synthèse du GIEC (AR6) est composé de trois volumes et d’un rapport de synthèse: le rapport du groupe de travail I (août 2021) : compréhension physique du système et du changement climatique ; le rapport du groupe de travail II (février 2022) : impacts, adaptation et vulnérabilité des sociétés humaines et des écosystèmes au changement climatique ; le rapport du groupe de travail III (avril 2022) : solutions envisageables pour limiter ou atténuer le changement climatique.
Le rapport réalisé par le groupe 1 met en évidence que les changements climatiques que nous vivons sont sans précédent et sont provoqués directement par les émissions de gaz à effet de serre générées par les activités humaines. Des études approfondies et de nouvelles données scientifiques sont venues confirmer cet argument certifiant le lien entre activités humaines et dérèglement climatique. Le rapport du groupe 2 insiste, quant à lui, sur les conséquences dramatiques du changement climatique sur les écosystèmes et les sociétés humaines telles qu’une hausse de la fréquence des événements météorologiques extrêmes. Ce rapport met également l’accent sur la nécessité de développer urgemment des mesures d’adaptation pour permettre notamment aux populations les plus fragiles de s’adapter aux changements en cours et parfois irréversibles, comme la montée des eaux. Enfin, le rapport du groupe 3 montre que les efforts actuellement mis en place pour atténuer le changement climatique sont très insuffisants.
Si certains experts encouragent à ne pas basculer dans le fatalisme stipulant qu’il est désormais trop tard pour y parvenir, la mission est périlleuse. En effet, le réchauffement climatique global est désormais de +1,1°C par rapport à l’ère préindustrielle (1850-1900). Quels que soient les scénarios que nous décidons de poursuivre, nous atteindrons +1,5°C en 2030. Il sera néanmoins possible de limiter ce réchauffement à +1,4°C à la fin du siècle. Cela implique de ne pas émettre plus de 500 milliards de tonnes de CO2, ce qui représente entre 7 et 8 ans si nous poursuivons notre trajectoire d’émissions actuelle. Pour respecter un objectif de +2°C supplémentaires, cette limite s’élève à 1 150 milliards de tonnes de CO2, ce qui représente à peine 20 années d’émissions si nous ne prenons pas de mesures drastiques et urgentes à l’échelle mondiale. Chaque dixième de degré supplémentaire compte et aura selon le GIEC des impacts toujours plus importants. Ainsi, à +1,5°C, les conséquences seront inquiétantes, mais le seront davantage à +2°C.
Un réchauffement à +1,4°C constitue néanmoins le scénario le plus ambitieux du GIEC. Les politiques actuelles nous conduiraient plutôt vers un réchauffement à +3,2°C à la fin du siècle, soit un Monde présentant un grand nombre de zones inhabitables pour l’être humain, et étant témoin de la disparition d’un grand nombre d’espèces n’ayant pu s’adapter à ces conditions nouvelles. Selon les scénarios les plus pessimistes présentés par le GIEC, nous pourrions atteindre des hausses de températures de +4 à +5°C de hausse des températures en 2100. Le GIEC qualifie ces scénarios de « Business as usual », qui implique que nous continuions dans la même direction en engageant des efforts très limités. Plus les températures globales se réchauffent, plus nous risquons d’atteindre des points de bascule, impliquant des changements irréversibles. Lorsque ces points de bascule sont franchis, nous ne pouvons revenir sur les conséquences qui y sont associées. Leur accumulation rendrait la lutte contre le changement climatique d’autant plus problématique et complexe. La montée du niveau des mers est l’une des conséquences irréversibles renseignées par les experts du climat. Les trois derniers rapports nous alertent sur la rapidité des effets du changement climatique qui dépasse les anticipations des scientifiques. En effet, les impacts observés actuellement sont plus étendus et ont des conséquences plus importantes que ce qu’avaient modélisé jusqu’alors les chercheurs.
Les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine et leur constante augmentation sont la première cause du dérèglement climatique. Elles sont principalement générées par l’exploitation des énergies fossiles pour les secteurs de l’industrie, des transports et des bâtiments qui est responsable de 79% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Même si les mesures d’efficacité énergétique se sont améliorées, elles ne viennent pas compenser l’augmentation globale de l’activité dans de nombreux secteurs économiques liés aux énergies fossiles et à l’industrie. Les activités agricoles sont également responsables d’une grande partie des émissions, de par la déforestation induite par l’agriculture intensive, et par l’élevage de ruminants qui engendre des émissions de méthane très importantes. Le méthane est un gaz à effet de serre qui possède un pouvoir de réchauffement global 30 fois supérieur à celui du CO2. L’Homme a tant influencé les équilibres terrestres que le passage vers l’époque de l’anthropocène a été théorisé pour désigner l’époque à laquelle l’action des hommes a provoqué des changements biogéophysiques à l’échelle planétaire.
Néanmoins, le niveau d’émission dépend fortement du niveau de richesse. Actuellement, ce sont 10 % des foyers concentrant les plus hauts revenus qui émettent de 35 à 45 % des émissions de gaz à effet de serre. À l’échelle globale, 45 % des gaz à effet de serre ont été émis par les pays développés depuis 1850, contre seulement 3 % par les pays les plus pauvres. Pourtant, les pays ayant le plus faiblement contribué au changement climatique sont aujourd’hui les plus touchés et les plus vulnérables face aux conséquences qui en découlent. L’Amérique central et du Sud, l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud, les petites îles en développement et l’Arctique sont considérées comme étant très vulnérables aux dangers climatiques. Le GIEC a notamment consacré une partie importante à l’Afrique afin de mettre en lumière la forte vulnérabilité de ce continent face aux conséquences extrêmes du dérèglement climatique, alors qu’il est l’un des plus faibles émetteurs de gaz à effet de serre au monde. La mortalité dans ces régions du monde due aux impacts du changement climatique, tels que les inondations et les sécheresses, est 15 fois plus élevée que dans les pays peu vulnérables au changement climatique. La synthèse du GIEC préconise une accélération de la coopération internationale en direction des pays les plus pauvres et les plus vulnérables pour les aider à s’adapter et à lutter contre le changement climatique. À ce jour, les pays développés n’ont toujours pas respecté leur engagement pris lors de la COP 15 en 2009 de rassembler 100 milliards de dollars chaque année pour venir en aide aux pays les plus pauvres face au dérèglement climatique.
Pour ralentir considérablement le changement climatique et atténuer ses conséquences directes impliquant des températures extrêmes, des sécheresses accrues, une accélération de la fonte du permafrost ou encore une intensité des évènements climatiques rares, le GIEC met en avant un ensemble de préconisations présentées au sein de cette synthèse :
· Protéger les écosystèmes mondiaux qui permettent aujourd’hui de stocker naturellement du carbone. C’est le cas des sols, des océans et des forêts. Ainsi, selon les scientifiques, il est nécessaire que nous protégions 30 à 50 % des terres, des eaux douces et des océans pour lutter contre l’accélération du changement climatique. Cela implique de mettre fin à la déforestation, changer les pratiques agricoles, et protéger la biodiversité marine et terrestre notamment.
· Développer des solutions techniques pour réduire considérablement l’usage des énergies fossiles à l’aide des énergies renouvelables, du nucléaire, ou encore des techniques de captation du CO2. Le rapport du GIEC indique que les énergies éoliennes et solaires représentent un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre plus de neuf fois plus important que le nucléaire.
· Sortir de la subvention aux énergies fossiles. En 2020, 870 milliards de dollars étaient consacrés au soutien des énergies fossiles, ce qui est supérieur aux financements dédiés au climat. Cette mesure permettrait de réduire de 10 % les émissions en 2030.
En parallèle, le GIEC souligne que des mesures d’adaptation doivent absolument être appliquées face aux conséquences irréversibles du changement climatique. En effet, la multiplication des canicules, la hausse du niveau des mers, les sécheresses impliquent la mise en œuvre de politiques adaptatives pour permettre aux populations, notamment les plus vulnérables, de s’adapter aux effets du changement climatique déjà en cours. Pourtant, les mesures d’adaptation sont encore trop peu nombreuses et trop tardives. Actuellement, le nombre de personnes directement exposées aux effets du changement climatique augmente considérablement.
Le prochain rapport du GIEC ne sera publié que dans quelques années. Cette synthèse représente ainsi l’ultime document pour prendre des décisions adéquates face à l’urgence de la situation à laquelle nous sommes confrontés. Comme l’indique le GIEC, plus les mesures d’atténuation sont retardées, plus il sera complexe de limiter des conséquences sur lesquelles nous pouvons encore agir. Il n’est pas trop tard pour agir et faire des choix conscients qui nous permettront de conserver une planète viable pour toutes les générations et les espèces vivantes. Ce rapport servira de base scientifique lors du prochain sommet des Nations unies sur le climat qui se déroulera à Dubaï, à partir du 30 novembre 2023, pour la réalisation du premier bilan mondial de l’accord de Paris.